Ce vendredi 24, je suis à la pre-conference ICA Riding or Lashing the Waves: Regulating Media for Diversity in a Time of Uncertainty, pour présenter le travail réalisé avec Emmanuel Marty et Nikos Smyrnaios sur le recours au financement participatif dans les médias français.

La journée est une coorganisation franco-étatsunienne. De ce côté de l'Atlantique, Sorin Adam Matei (College of Liberal Arts, Purdue University, Chicago). Du nôtre, Franck Rebillard, Francois Moreau et Fabrice Rochelandet, du Labex ICCA (Universités Paris 3 Sorbonne Nouvelle et Paris 13). Elle se déroule à Washington, dans l'impressionnant bâtiment du National Press Club.

Ci-dessous les slides, et ici pour les avoir en plein écran.

The slides are below, and here in full screen.

Financement participatif : les nouveaux territoires du capitalisme (couverture du livre)

Il est sorti ! Après trois ans et demi de recherches sur trois continents, et un beau colloque international de clôture à Metz l'an passé, l'ouvrage Financement participatif : les nouveaux territoires du capitalisme vient de paraître dans la série Actes de Questions de communication.

C'est l'aboutissement du programme de recherche Collab, financé par l'ANR et consacré au crowdfunding dans les industries culturelles. Le programme était dirigé par Vincent Rouzé (Paris 8, Cemti), secondé pour les axes de travail par Marc Kaiser (Paris 8, Cemti), Jacob Matthews (Paris 8, Cemti) et moi-même (Université de Lorraine, Crem). Stéphane Costantini (Paris 13, LabSIC) nous a accompagnés comme post-doctorant. Et nous nous y sommes mis tous les cinq pour diriger l'ouvrage. Tiré du colloque, il reprend des travaux de l'équipe Collab ainsi que des contributions d'autres chercheurs.

Au menu : tenter d'aller plus loin que les discours séduisants sur une revitalisation démocratique du financement de la culture. Suffit-il d'en appeler au peuple pour pallier le retrait progressif de l'État et des acteurs industriels ? Les logiques à l'œuvre rompent-elles vraiment avec ce qu'il est bien souvent commode de qualifier d'« ancien monde» ?

« L'idéal de la participation à l'épreuve des logiques capitalistes » : c'est le titre de l'introduction, et c'est en effet tout un programme… (photo Crem)
« L'idéal de la participation à l'épreuve des logiques capitalistes » : c'est le titre de l'introduction, et c'est en effet tout un programme… (photo Crem)

Financer la culture « sans intermédiaire », en donnant à tous les projets les mêmes chances de réussite: depuis une dizaine d'années, le financement participatif (ou crowdfunding, ou sociofinancement au Québec) est présenté comme le moyen qui permettra à la sagesse des foules de renouveler démocratiquement des industries en difficulté. Au-delà des discours prosélytes et laudatifs, que l'on retrouve aussi bien dans les médias que dans une littérature scientifique dominée par des guides de bonnes pratiques plutôt que par des analyses distanciées et critiques, les textes réunis replacent le financement participatif dans les évolutions contemporaines du capitalisme.

En voici le sommaire complet. Bonne lecture ! Et merci à tou·te·s les auteurs·ices, ainsi qu'au studio Edicom du Crem et en particulier à Rudy Hahusseau pour le suivi éditorial et la mise en pages… en couleurs, s'il vous plaît !

Sommaire

Présentation

  • Loïc Ballarini, Stéphane Costantini, Marc Kaiser, Jacob Matthews, Vincent Rouzé – L'idéal de la participation à l'épreuve des logiques capitalistes
  • Vincent Rouzé – Les plateformes de financement participatif culturel : l'avenir de la culture ?

1. Crowdfunding, communautés et expérience

  • D. E. Wittkower – For Love and Money: Community and the Ethics of Care in Crowdfunding
  • Caterina Foà, Chiara Moltrasio – Crowdfunding and Networked Platforms Exploring Col-labor-ation and Mediation for Value-Creation in Portuguese Crowdfunding Ecosystem
  • Sébastien Appiotti – Les usages du crowdfunding en contexte patrimonial (États-Unis/France). Vers une injonction transverse à la participation ?
  • Christiaan De Beukelaer, Kim-Marie Spence – Cinq perspectives sur l'économie culturelle mondiale

2. Économie politique du journalisme à l'heure du financement participatif

  • Franck Rebillard – Le financement de la presse et de l'information en ligne en France. Évolution et enjeux
  • Loïc Ballarini, Emmanuel Marty, Nikos Smyrnaios – Médias français : le financement participatif au service du pluralisme ?
  • Anne-Marie Brunelle, Michel Sénécal – Financement participatif : un apport significatif pour les médias associatifs et indépendants québécois ?

3. Le financement participatif face aux territoires et au patrimoine

  • Arnaud Anciaux, Philippe-Antoine Lupien – Au-delà du financement et du participatif. Les enjeux hors des objectifs assignés ou revendiqués par les plateformes
  • Gaëlle Crenn – Les territoires du crowdfunding muséal. Attachement patrimonial et rapports au territoire dans les opérations de crowdfunding muséal en France
  • Éric George, Simon Claus – Le financement participatif au Canada. Ce que nous enseigne l'analyse des pages d'accueil des plateformes

4. Crowdfunding : une alternative ?

  • Stéphane Costantini – Le financement participatif en Afrique subsaharienne. Porteur d'alternatives aux modèles dominants ou vecteur de déploiement des plateformes occidentales ?
  • David Z. Gehring – Industry, Values, and the Community Ethos of Crowdfunding within Neoliberal Capitalism. The Economic and Cultural Negotiations of Crowdfunding Campaigns
  • Jacob Matthews – Crowdfunding culturel : « There is no alternative »

Postface

  • David Pucheu – Le crowdfunding ou la glorification de la culture par projets

Obsweb - EWJ2016Ça ne pouvait pas mieux tomber : lundi 22 février, Médiamétrie publiait L'Année internet 2015, son bilan annuel dans lequel il apparaissait que l'année écoulée était celle du basculement. Pour la première fois en France, le nombre de connexions à internet depuis les mobiles (tablettes et smartphones) a dépassé en 2015 celui des connexions depuis les ordinateurs. Or, quatre jours plus tard, Obsweb, l'Observatoire du webjournalisme rattaché au Crem, organisait les 6e Entretiens du webjournalisme sur le thème « Information et supports mobiles ». Sceptiques, monothéistes et adversaires du mariage de la carpe informationnelle et du lapin numérique, passez donc votre chemin — ou, plutôt, changez-en : de profondes mutations sont en cours. Encore ? Rassurez-vous : on ne va pas vous refaire le coup de la révolution ou de la technologie disruptive. Il y en au moins une tous les matins sur les sites technophiles, mais ce n'est pas le genre de la maison.

#Obsweb nouveau métier

A photo posted by @undessinparjour on


Ce qui est important, c'est le mouvement de fond, que certain-e-s voient poindre depuis un moment et qui est désormais une réalité : ce n'est pas l'avenir d'internet qui est mobile, c'est son présent. Cela pose des questions cruciales aux producteurs d'informations qui, comme cela a été relevé plusieurs fois, commencent à peine à accepter de penser l'info web first alors que leur préoccupation devrait être mobile first. Car c'est ainsi que leurs lecteurs potentiels vivent : près de 60% de la population sont désormais équipés de smartphone, et ce taux monte à 90% chez les 18-24 ans. La consommation d'information suit évidemment le mouvement : de moins en moins de lecteurs papier, de plus en plus de lecteurs numériques, qui ne se connectent plus que rarement à la page d'accueil de leur média favori, qui en suivent très marginalement les flux RSS, mais qui installent des applis, jettent un œil à leurs notifications et, surtout, arrivent de plus en plus souvent sur un article en ayant suivi une recommandation (re)postée sur un réseau social.

Taux d'équipement et taux d'accès à internet 2015

Taux d'équipement et taux d'accès à internet en France en 2015. Source ARCEP, Baromètre numérique 2015.

Le problème, c'est que cette évolution est très rapide et que les médias, comme toutes les institutions, ont bien du mal à réagir, sans même parler d'anticiper. Et pourtant : au Royaume-Uni, l'audience totale (papier + numérique) de 5 quotidiens est désormais majoritairement mobile — c'est près des deux-tiers pour The Independent, qui vient d'annoncer l'arrêt de son édition papier pour se concentrer sur le numérique. Comment cette audience se construit-elle ? En France, selon Médiamétrie, les réseaux socio-numériques sont à l'origine de 20 à 50% de l'audience numérique des sites d'info. Tel est le cocktail que journalistes et médias ont en main : internet mobile et réseaux socio-numériques. Qu'en faire ? Qu'y faire ?
Pour tenter d'y répondre, les Entretiens du webjournalisme étaient organisés en deux parties : la matinée était consacrée à interroger les stratégies éditoriales pour le mobile ; l'après-midi à des retours d'expérience de journalistes produisant de l'info en mobilité. Entre les deux, la présentation du Défi appli mobile, par les étudiants en journalisme de Metz, qui devaient concevoir des applis destinés à un public jeune et orientés info locale — travail qui combinait recherche et entretiens auprès de jeunes, et développement de l'appli avec Morgiane Achache, chef de produit numérique au Monde.fr. Mon propos n'est pas ici de résumer les débats : d'autres s'y sont déjà collés avant moi, et avec un bel esprit de synthèse. Lisez donc Nicolas Becquet, journaliste et manager des supports numériques de L'Écho, qui passe en revue la journée complète, ainsi que Jonathan Hauvel, rédacteur en chef adjoint du Bruxelles Bondy Blog, à propos des retours d'expérience d'une belle brochette de journalistes-pionniers dont les interventions ont marqué l'assistance.
Si cela vous intéresse, prolongez un peu : les étudiant-e-s du Master Journalisme et médias numériques de Metz, coachés par Nathalie Pignard-Cheynel, responsable d'Obsweb, et ceux-celles de la Licence professionnelle Journalisme et médias locaux de Nancy, avec votre serviteur, ont couvert la journée tous azimuts. Streaming en direct à trois caméras, articles de synthèse, interviews, live-tweet, Instagram, Periscope, Snapchat… par une rédaction éphémère de 50 futurs journalistes à la pointe de la technique et de la réflexion (du moins est-ce que nous essayons de leur proposer, et ce que Nicolas Becquet a réalisé avec trois étudiant-e-s embarqué-e-s avec lui dans une journée de mobile journalism). C'est le hashtag #obsweb qui a servi de panache blanc à cette journée, qui peut aussi être revue en intégralité ici, ici et .
Comme le souligne justement Nicolas Becquet, le contraste était saisissant entre matin et après-midi. Le matin, professionnels comme chercheurs n'ont pu que constater l'absence, au moins en France, de stratégie éditoriale en direction des supports mobiles. Mais si l'on ne produit pas encore pour eux, on commence à produire par les supports mobiles. C'est ce que les témoignages et études de l'après-midi ont montré. Les JT entièrement tournés à l'iPhone de Léman Bleu racontés par Laurent Keller, le reportage au smartphone de Nicolae Schiau, qui a suivi des migrants syriens tout au long d'un périple documenté sur divers réseaux socio-numériques, le laboratoire mobile sous forme de van ultra-connecté de Damien Van Achter, le suivi de la coupe du monde de rugby sur WhatsApp par Antoine Maes, et l'appli participative Earth Alert de Steven Jambot… Il y a dans ces expériences quelques points communs : oser se lancer sans être sûr du résultat, retourner sur le terrain, utiliser les outils du quotidien, les mêmes que ceux des lecteurs.

Il y a aussi une nouvelle qui devrait faire réfléchir les « gros » médias : ces innovations viennent de structures légères, parfois de journalistes indépendants, qui ne disposent que de budgets modestes. Tout le monde n'est pas La Presse, qui peut investir 26 millions d'euros et embaucher 200 personnes pour développer une appli tablette. Mais tout le monde peut être Léman Bleu, qui acquiert quelques micros, trépieds et perches à selfie. Pour faire quoi ? De la proximité, autre mot-clé de la journée. Proximité avec son sujet, mais aussi avec son public. Proximité physique (sur la route avec les migrants, au plus près puisqu'on filme au smartphone), et proximité technique et d'usages (outils et réseaux partagés avec le public et les sources). Ce n'est d'ailleurs pas étonnant qu'une des démonstrations les plus convaincantes de la journée soit celle de Laurent Keller1, qui expliquait qu'en troquant les imposantes caméras de télévision pour des iPhones, Léman Bleu n'avait pas seulement modifié sa manière de raconter son territoire, mais qu'elle en avait profité pour renoncer à ses rêves de grandeur : cette télé qui avait par le passé tout fait pour être reconnue comme une station régionale est redevenue fière d'être une télé locale.

Dans le débat général sur la crise des médias, on a effet souvent tendance à se focaliser sur les aspects techniques, vus alternativement comme la source de tous les maux et la route vers toutes les solutions. Mais comme dans tout processus d'innovation, la technique n'est rien sans le social qui la porte et se l'approprie, voire la détourne. À quoi bon vouloir révolutionner l'information si ce n'est pour qu'elle soit lue, partagée et discutée ? Ce qui fait qu'un lecteur apprécie un média, un journaliste ou un article, ce n'est pas d'abord sa qualité technique, c'est son contenu, et la relation qui se crée entre lecteur et producteur d'information. C'est peut-être parce qu'ils se mettent à produire par les supports mobiles que les rédactions vont finir par produire pour les supports mobiles. L'indifférenciation entre les supports de production et de réception de l'information, fait unique dans l'histoire des médias, aidera peut-être à ne pas perdre de vue que tout cela n'aura de sens que si l'on produit en même temps pour les lecteurs.
PS : Et le nerf de la guerre, alors ? Ce n'était pas l'objet de cette journée. C'est par contre le thème des Assises du journalisme 2016, qui se déroulent cette année à Tours, à partir de… demain. On en reparle.
 

  1. Je ne dis pas que les autres interventions n'étaient pas convaincantes, loin de là. Mais l'intérêt de Léman Bleu est que l'expérience n'en est plus une : elle est devenue le quotidien de la rédaction. Les autres projets ouvrent des voies encore impratiquées, mais ne sont pour l'instant que ponctuels — Damien Van Achter étant entre les deux, puisqu'il a annoncé lors des Entretiens mettre à disposition l'application Backtrackr, qui lui permet de réaliser ses roadtrips multimédia. []

Vendredi 29 janvier, nous lançons le cycle de séminaires du programme de recherches ANR Collab, qui s'interroge sur le rôle des plateformes de crowdsourcing et de crowdfunding dans les mutations contemporaines des industries culturelles. La première séance, qui se déroulera à l'Université Paris 8 de 9h à 12h (salle D143), sera consacrée au journalisme. Les invités sont :

  • Ivan du Roy, journaliste, cofondateur de Basta !
  • Raphaël Garrigos, journaliste, cofondateur des Jours
  • Mehdi Guiraud, journaliste, membre d'Enquête Ouverte

Affiche séminaire Collab

Affiche séminaire Collab

Protesters shout slogans as they hold a Turkish flag during the third day of nationwide anti-government protests at the Taksim Square in Istanbul. Photograph: Thanassis Stavrakis/AP. Image et légende empruntées au Guardian.


Peut-on décrire la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? À quoi est-elle due ? Qu’est-ce qui permet qu’un événement, peut-être pas anodin, mais en tout cas pas plus important que beaucoup d’autres, se transforme en « point de départ » d’un mouvement de révolte, voire d’un changement de régime ? Pourquoi est-ce l’immolation par le feu de Mohammed Bouazizi le 17 décembre 2010 qui, par ricochet, déclenche le Printemps arabe ? L’occupation du parc Gezi à Istanbul et son évacuation musclée par la police, au matin du 30 mai 2013, sera-t-elle le point de départ d’un « Printemps turc » ?
En Turquie aujourd’hui, tout comme dans le monde arabe il y a deux ans et demi, les éléments de contexte sont très nombreux qui peuvent expliquer la colère des peuples et leur succès, ou leur échec, à renverser les pouvoirs en place. Ici à Istanbul, impression que le sentiment dominant est l’exaspération grandissante face à la dérive autoritaire du pouvoir et aux déclarations méprisantes du premier ministre Recep Tayyip Erdoğan à l’encontre de tout ce qui peut ressembler à une opposition.
Peuple humilié, peuple révolté ? Le raccourci est un peu rapide — justement parce qu’il n’explique pas le déclenchement, ni ne dit rien du seuil d’humiliation et de sa variabilité selon les contextes —, mais je ne peux m’empêcher de penser au concept de reconnaissance d’Axel Honneth, qui m’a l’air de coller à la situation. Le problème, c’est que je commence à peine ma lecture d’Honneth, et que je me trompe peut-être lourdement. Je pense notamment à cet entretien donné à la revue Mouvements en 2007 et intitulée « Le motif de tout conflit est une attente de reconnaissance »1.
Je pense aussi, et surtout, à cet extrait de L’Établi, magnifique petit livre dans lequel Robert Linhart raconte son expérience d’« établi », intellectuel s’étant fait embaucher comme ouvrier pour instiller la révolte et ayant travaillé, de l’automne 1968 à l’été 1969, dans une usine Citroën. Ici, les humiliations sont quotidiennes, mais le missionnaire de la révolution qu’il est a bien du mal à trouver des points d’appui pour lancer une action collective forte contre la direction. Lui-même pris par la fatigue physique et psychique imposée par la vie d’usine, il mesure la distance qui sépare le discours tenu à l’extérieur et les réalités vécues par les ouvriers, en majorité immigrés.
Jusqu’à ce que la goutte d’eau se présente à lui, sous la forme de la « récupération » imposée par Citroën afin de récupérer l’argent versé aux ouvriers sous la pression des grandes grèves de mai. Ceux-ci le considèrent comme un paiement des jours de grève, mais la direction entend bien rentrer dans ses fonds, et annonce, début 1969, une augmentation de 45 minutes de la journée de travail, dont la moitié sera effectuée gratuitement au titre de la récupération. C’est l’étincelle qui déclenche une première réunion au sous-sol du Café des Sports, au cours de laquelle un ouvrier italien, Primo, prend ainsi la parole :

Primo : « Bon, il nous reste un mois. Sur la grande chaîne de montage du 85, il y a des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, des Yougoslaves, des Espagnols, des Portugais, des Maliens, des camarades d’autres pays encore. Faisons un bon tract pour leur expliquer ce que nous voulons faire. Et faisons des traductions dans toutes les langues de la chaîne, pour que tous ceux qui savent lire comprennent et puissent dire aux autres ce qu’il y a dedans. Après, on ira les voir un à un pour en discuter. »
Cette idée de tract en plusieurs langues plaît à tout le monde. Elle n’a pas seulement une fonction utilitaire. C’est une marque de respect vis-à-vis de chacune des cultures représentées dans l’usine. C’est une façon de demander aux différentes communautés immigrées de prendre les choses en main.
Maintenant, rédiger le texte. Pourquoi nous refusons la récupération. Les explications fusent. On peut parler de la fatigue des journées de dix heures. Ceux qui ont une heure de transport aller et une heure retour n’ont plus aucune vie en dehors de l’usine. La fatigue multiplie les accidents. Chaque changement d’horaire est l’occasion d’intensifier les cadences. Pourquoi ne pas en profiter pour rappeler les revendications particulières ? La qualification des peintres, des soudeurs. Parler aussi des locaux insalubres. Et le racisme des chefs ? Et la rémunération des heures supplémentaires ? Holà ! ce n’est plus un tract qu’on va rédiger, c’est un roman…
Primo, encore : « Ma ce n’est pas la peine de raconter toutes ces histoires. Si le patron veut nous faire travailler à nouveau dix heures avec vingt minutes gratuites, c’est pour nous humilier. Ils veulent montrer que les grandes grèves, c’est bien fini, et que Citroën fait ce qu’il veut. C’est une attaque contre notre dignité. Qu’est-ce qu’on est ? Des chiens ? “Fais ci, fais ça, et ferme ta gueule !” Ça ne marche pas ! Nous allons leur montrer qu’ils ne peuvent pas nous traiter comme ça. C’est une question d’honneur. Ça, tout le monde peut le comprendre, non ? Il n’y a qu’à dire ça, ça suffit ! »
Le contenu du tract est trouvé. Je rédige brièvement, sur le coin de la table, ce que Primo vient de dire d’un trait. Lecture. On change deux ou trois mots, version finale : tout le monde approuve. Le tract sera traduit en arabe, en espagnol, en portugais, en yougoslave. J’ai l’idée, fugitive, que ces mots sonnent très fort dans toutes les langues : « insulte », « fierté », « honneur »…2

  1. Marc Bessin et al., 2007. « Le motif de tout conflit est une attente de reconnaissance », Mouvements no 49, p. 145-152. Repris en 2009 dans le numéro spécial « Pensées critiques » de la même revue. []
  2. Robert Linhart, 1981 (1978). L’Établi, Éditions de Minuit, pp. 85-87. []

L’Institut français d’études anatoliennes (IFEA) vient de mettre en ligne l’enregistrement du séminaire commun avec l’Université Galatasaray, auquel j’ai apporté ma contribution le 26 avril dernier. J’en profite donc pour partager ici les diapos de ma présentation.
Merci à Benoît et toute l’équipe pour l’accueil, et aux participants pour leurs questions.

Et pour écouter l’enregistrement directement ici :
[audio: http://www.ifea-istanbul.net//images/stories/audio/26042013_ballarini2.mp3]

En y réfléchissant, je suis déjà tombé sur ce fameux1  site qui fait tant parler de lui ces derniers temps, j'ai nommé Refdoc (INIST, unité du CNRS). Au hasard d'une recherche sur internet, pour retrouver une référence ou consulter un article, je ne sais plus. Arrivé sur le site, l'étonnement : c'est présenté comme une base de données de références, mais on se rend vite compte que l'objectif premier est de vendre, qui plus est fort cher, des photocopies d'articles. Un peu énervé et dérouté, j'avais fermé l'onglet et rapidement classé Refdoc quelque part dans le coin de ma tête où se situe la rubrique « Même si ce site remonte dans une recherche sur ton moteur préféré, passe ton chemin sans cliquer. » Je dois donc faire partie de ces milliers de chercheurs qui ne s'étaient pas posé plus de questions que ça à propos de Refdoc. J'avais tort.
Heureusement qu'Olivier Ertzscheid est venu nous secouer les puces ce lundi 1er octobre, en publiant une salutaire et énervée Lettre à l'INIST, qui remet en avant une question qui m'avait échappé (voir plus haut), mais qui n'est malheureusement pas nouvelle. Je cite ci-dessous Rémi Mathis, qui résume fort bien la situation (l'histoire complète étant à lire dans son billet) :

« Une unité du CNRS, l’INIST, vend à un prix démesuré (jusqu’à plus de 50 euros) des articles scientifiques par ailleurs souvent disponibles de manière libre et gratuite. Elle a été condamnée pour ce fait et n’ignore rien de l’illégalité du procédé. Elle continue pourtant, à l’encontre de la volonté de la communauté des chercheurs. Nous appelons à un arrêt de ces pratiques qui vont à l’encontre de l’open access, par ailleurs prêché (à raison) par le même CNRS. »

Ça fait froid dans le dos, hérisse le poil et fait bondir au plafond ! Et puisque les SIC sont interdisciplinaires, ajoutons à l'histoire un peu de droit : Lionel Maurel/Calimaq explique ici très bien que les pratiques de l'INIST posent deux problèmes :

  • D'une part parce que l'INIST vend des photocopies d'articles de revue sans que jamais l'autorisation des auteurs, pourtant requise par la loi, n'ait été demandée. L'INIST sait parfaitement que c'est illégal, mais s'asseoit tranquillement sur la décision de justice et fait comme si de rien n'était.
  • D'autre part parce qu'un certain nombre des articles proposés à la vente par Refdoc est disponible ailleurs en accès libre, notamment sur HAL (autre initiative du CNRS), mais pas seulement. Et que l'INIST se garde bien de le faire savoir à ses potentiels clients.

Faites donc l'expérience : recherchez votre nom dans la base de données Refdoc, et faites le compte. En ce qui me concerne, deux articles, dont un est effectivement disponible sur HAL. On peut même les commander en photocopie couleur (ce qui coûte alors plus cher que le numéro entier de la revue papier…), alors qu'ils sont parus à l'origine en noir et blanc. Magie de l'entourloupe institutionnalisée ! Scandale juridique et scientifique, surtout.
Alors, qu'est-ce qu'on fait ? On ferme son navigateur, on reprend son calame et sa tablette d'argile en attendant que la tempête passe ? C'est ce qu'a l'air de faire l'INIST, qui n'entend pas les chercheurs gronder, et fait de nouveau comme si de rien n'était (ou presque, mais c'est pire). Non, ce qu'il faut faire, c'est retenir les résultats de la recherche sur Refdoc, et demander le retrait des articles concernés ici, sur cette page du site SavoirsCom12. Puis en profiter pour signer la pétition. Et se tenir prêt à montrer à l'INIST de quel bois on se chauffe, au cas où ça ne suffirait pas…

  1. Les Allemands ont un mot particulier pour ce contexte : berüchtigt, qui signifie quelque chose comme « négativement fameux », mais en plus savoureux que notre « tristement célèbre ». []
  2. Poussé par cette vague de soutien à une diffusion large et gratuite des productions scientifiques, on peut aussi en profiter pour lire, et signer, le Manifeste de SavoirsCom1. []

Où (en) est la critique en communication ?Dans une semaine, je serai à Montréal pour participer au colloque international « Où (en) est la critique en communication ? », dont j’avais diffusé l’appel à communications ici, qui est organisé par le Gricis et se déroule dans le cadre du 80e congrès de l’Association francophone pour le savoir.

Le menu est aussi alléchant que riche : il n’y a que deux jours, et souvent trois ateliers en parallèle… les choix vont être difficiles… Tous les détails sur le programme en PDF ou sur le site du colloque, d’où sont accessibles les résumés de toutes les communications. J’interviendrai pour ma part lundi 7 mai en début d’après-midi, dans l’atelier C consacré à « La communication entre espace public et idéologie ». Voici le résumé de ma communication :

Lire la suite de

Quelle aventure ! Voici qu’est enfin publiée, aujourd’hui, par Lectures, ma recension du dernier ouvrage de Bernard Miège, L’Espace public contemporain. L’auteur entend y donner une forme achevée à ses réflexions sur ce concept, fondé par Jürgen Habermas au début des années 1960, afin d’en faire un outil utile à la recherche portant sur le monde contemporain. Mais pourquoi une aventure ? C’est surtout de ma faute, et un peu de celle de Miège. De la mienne : j’ai mis (trop) longtemps à lire ce livre. De celle de Miège : c’est péniblement écrit, et (retour de ma culpabilité) j’ai dû m’y reprendre plusieurs fois pour trouver la motivation d’arriver au bout. Or, quand on demande à faire une recension pour Lectures, on s’engage à la faire dans le mois suivant la réception de l’ouvrage, qui est envoyé gratuitement. J’ai mis à peu près cinq fois la durée accordée. Et j’ai rendu un article très (trop ?) long. La rédaction de Lectures a été sympa, et a accepté de le publier, à condition d’en enlever la moitié.

Cette moitié qui manque, elle était importante à mes yeux, mais disons qu’elle ne l’était pas autant que celle qui est publiée ; alors ça va. D’autant que les échanges et corrections par mail ont été très cordiaux et m’ont permis d’améliorer certaines parties du texte. Dans un autre contexte, on parlerait d’une relation gagnant-gagnant. J’ai donc supprimé de l’article une longue introduction résumant les publications précédentes de Miège sur l’espace public. Puis tout ce qui concernait les aspects formels du livre : problèmes de références erronées, ou qui sont appelées dans le texte sans être présentes en biblio, ainsi que des défauts de mise en page qui empêchent de bien repérer les deux interventions extérieures sollicitées par l’auteur.

Manque également un aspect plus éthique. Miège semble en effet avoir adopté une étrange politique, qui le conduit à ne citer que des auteurs avec lesquels il est globalement en accord, tandis que ceux qu’il considère comme ses adversaires théoriques n’ont droit qu’à des sous-entendus délégitimants, qui tiennent plus de l’argument d’autorité que de la démonstration. Il fait ainsi régulièrement allusion à « la » philosophie politique comme ayant une vision par trop limitée de l’espace public — comme s’il n’existait dans cette discipline pas de courants ou d’écoles de pensée différentes. La mention « nombre d’auteurs… » revient aussi fréquemment, sans qu’aucun ne soit cité. Lorsqu’il aborde la question de la fragmentation ou de l’unicité de l’espace public, il indique : « le “nouvel” espace public n’a pas encore donné lieu à des formulations satisfaisantes » (p. 54). Sans indiquer qu’il renvoie ici à un numéro d’Hermès portant ce titre1. Cela est d’autant plus étonnant qu’un des articles que Miège a publiés en 1995 sur l’espace public contenait une critique mordante de ce numéro, et en particulier des articles qu’y signait Dominique Wolton2. Dommage d’avoir réduit cette dimension du débat, qui demeure pourtant pertinente aujourd’hui, à une simple allusion cryptée.

À plusieurs reprises, Miège paraît même tenir pour négligeable de citer ses sources. Ainsi affirme-t-il : « Point besoin de revenir sur la question controversée de l’innovation qui est ainsi engagée et qui est loin d’être achevée, ou de faire référence à la multitude de travaux qui se sont donnés pour but d’aider à s’y retrouver dans le dédale des usages prescrits et effectifs » (p. 130). Et, ce qui pourrait être considéré comme un sommet du genre : « La liste est longue des constats formulés par divers auteurs concernant aussi bien des pratiques individuelles que le fonctionnement d’organisations ou de différents champs sociaux. Qu’il suffise de faire état ici… » (p. 165, suit une liste de phénomènes sans référence). Certes, cette méthode permet d’alléger la bibliographie, et de se passer de notes de bas de page. Mais quelle perte pour le lecteur ! Ce choix est d’autant plus difficile à comprendre qu’on ne doute pas un instant que Miège ait bien lu tous ces auteurs auxquels il ne renvoie pas. Est-ce alors par volonté de contenir le volume de son ouvrage (230 p.) ? Pourtant, nombre de cas auraient pu être tranchés par la mention de deux ou trois ouvrages représentatifs du courant abordé, accompagnées de quelques lignes d’explication. Et s’il avait fallu ajouter cinquante pages pour expliciter en détail quels aspects des conceptions contemporaines de l’espace public il s’agit de conserver ou de récuser, alors le livre aurait pu être cette synthèse que son titre et son introduction laissaient attendre.

D’autant plus que, lorsque leurs auteurs vont dans son sens, Miège n’hésite pas à consacrer quelques pages à l’examen d’écrits sur lesquels il appuie son argumentation. Mais l’embarras s’ajoute à la gêne, quand on constate que ceux à qui il accorde le plus de place, c’est-à-dire cinq thèses de doctorat, présentées au chapitre 1 (p. 36-41), ont toutes été dirigées par lui-même, sans qu’il en soit non plus fait mention. Cependant, et bien s’il s’agisse là d’un comportement bien éloigné du recul, de la précision et de l’honnêteté que l’on serait en droit d’attendre d’une publication de ce calibre, là n’est pas l’essentiel3. L’essentiel réside dans les arguments de Miège pour défendre sa vision de l’espace public, et, je l’espère, dans ceux que je lui oppose.

  1. Dorine Bregman, Daniel Dayan, Dominique Wolton (coord.), 1989. « Le nouvel espace public », Hermès, n° 4, Paris : Éditions du CNRS, en ligne : http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/15096. []
  2. Bernard Miège, 1995. « L’espace public : au-delà de la sphère politique », Hermès nº 17-18, p. 49-62, en ligne : http://hdl.handle.net/2042/15207. Mordante, la critique était également aussi savoureuse que polémique, Miège expliquant dans Hermès en quoi la pensée du directeur d’Hermès était beaucoup trop limitée pour pouvoir prétendre apporter quelque chose de nouveau au concept d’espace public. []
  3. Je viens pourtant de vous l’infliger, comme quoi vous êtes conciliants. []

Ce jour-là… (merci à Fany pour la photo)

Ma thèse est désormais disponible en ligne sur HAL. Elle s’intitule L’espace public au-delà de l’agir communicationnel. Quatre renversements de perspective pour sortir des impasses du modèle habermassien, et je l’ai soutenue le 30 novembre 2010 à l’Université Paris 8. Elle a été dirigée par le professeur Jacques Guyot. En voici le résumé :

Ce travail vise à définir les conditions d’un renouvellement de la portée théorique et empirique du concept d’espace public. Avec ce concept, plus tard complété par la théorie de l’agir communicationnel à laquelle il s’intègre, Jürgen Habermas entend fournir un appareillage théorique à même d’expliciter le fonctionnement de la société. Mais l’espace public habermassien, en tant que lieu symbolique d’échange d’arguments rationnels, d’usage public de la raison par des citoyens partageant la volonté de construire un consensus fondé sur la recherche de la vérité et l’intérêt commun, et qui s’incarne dans une opinion publique devenue une des institutions fondamentales de la démocratie représentative, résulte d’une conception normative de la société qui échoue à rendre compte des phénomènes sociaux. Porté par une presse écrite tout entière au service du débat citoyen, mélange d’une image fantasmée de l’agora grecque et de la raison des Lumières, de parlementarisme pragmatique et de l’illusion moderne de la transparence, l’espace public habermassien est certes séduisant, mais fonctionne plus comme une morale que comme un concept scientifique, en ce qu’Habermas n’essaie pas de dire la société telle qu’elle est, mais telle qu’elle devrait être.

À partir d’une lecture critique du livre fondateur de Jürgen Habermas et des principales contributions dans le champ des Sciences de l’information et de la communication, en m’inscrivant dans une démarche interdisciplinaire faisant appel à la philosophie, aux études littéraires et linguistiques, à la géographie et à l’histoire, à la sociologie et à l’ethnologie, et en m’appuyant sur des entretiens avec des lecteurs de presse régionale, je propose d’opérer quatre renversements de perspective permettant de dépasser les limites de la conception habermassienne de l’espace public.

Il s’agit tout d’abord de renoncer à toute idée d’un âge d’or de l’espace public pour le considérer comme un ensemble de processus dynamiques. Ce premier renversement de perspective apparaît comme une condition absolument nécessaire à la simple poursuite de la réflexion sur ce concept. Une réflexion qui ne doit cependant pas se tromper d’objet. Habermas faisait de l’espace public le creuset de l’opinion publique, sans toutefois la définir ni fournir d’instruments pour l’évaluer. Puisqu’il n’est pas aujourd’hui de définition scientifique opératoire satisfaisante de l’opinion publique, et que se limiter à celle que mesurent les sondages d’opinion serait un leurre, nous avons besoin d’un second renversement de perspective, qui consiste à étudier l’espace public en tant que lieu symbolique de formation des opinions personnelles, et non de l’opinion publique.

Au cours de ces deux premières étapes, les lectures de L’Espace public effectuées par Miège, Dahlgren, Calhoun, et Neveu et François sont de stimulants guides, qui autorisent de surcroît à concevoir un troisième renversement de perspective. L’espace public habermassien, inspiré tout à la fois de Kant, d’Arendt et de Tarde, est universel, unique et médiatique. Or, on le voit bien dans les entretiens, il y a autant d’espaces publics qu’il y a de situations dans lesquelles les idées et les nouvelles s’échangent. Ces situations, locales pour la plupart, ne font pas nécessairement appel aux médias, et ne peuvent être comprises sans étude des conversations ordinaires : l’espace public doit donc être considéré comme fragmenté, local et conversationnel.

Si l’étude des entretiens confirme la pertinence de ces trois renversements de perspective, elle en révèle également les limites. L’espace public ainsi redéfini permet en effet d’envisager la circulation des idées et des nouvelles d’une manière empirique, ce que le modèle habermassien, enfermé dans son idéal, n’autorisait pas. Il n’est cependant que d’une aide très relative pour aborder la formation des opinions personnelles, qui relèvent d’autres processus. En termes bourdieusiens, les trois premiers renversements de perspective ouvrent la voie à l’étude de l’opus operatum, c’est-à-dire du principe de fonctionnement de l’espace public. Pour appréhender le modus operandi, le principe générateur des opinions personnelles, il faut avoir recours aux processus de socialisation, et en particulier de socialisation politique — je me réfère ici aux travaux d’Elias, Piaget, Bourdieu et Percheron. Les intégrer à l’espace public ne va pour autant pas de soi, et se révèle impossible sans remettre en cause la théorie de la société qu’Habermas développe tout au long de son œuvre — encore implicite dans L’Espace public, elle devient explicite dans Théorie de l’agir communicationnel.

La théorie de la société d’Habermas est une philosophie du langage qui suppose que la structure même de l’interlocution oriente celle-ci vers l’entente entre les acteurs. Il s’agit d’une vision mythique dont les aspects séduisants sont nombreux, mais qui renonce à rendre compte des phénomènes sociaux — l’éthique de la discussion que construit Habermas peut certes être considérée comme un espoir à atteindre, mais en aucun cas comme un ensemble théorique et méthodologique permettant d’appréhender la complexité du monde. C’est pourquoi je propose d’effectuer un quatrième renversement de perspective consistant à conserver l’intuition d’Habermas selon laquelle la philosophie du langage est essentielle à la compréhension de la société, mais considérant que la relation sociale fondatrice n’est pas l’intercompréhension, mais le travail. Je m’appuie pour cela sur la vision de l’espace public d’Arendt et sur la critique marxiste d’Habermas que fait Lecercle. Donner sa pleine mesure au potentiel heuristique de l’espace public nécessite de faire sortir le concept de la théorie de l’agir communicationnel pour l’intégrer à une théorie de la société capable d’expliciter les rapports sociaux. Là où Habermas réifiait son concept en le soumettant à l’illusion d’une société guidée par la recherche de l’entente, une critique marxiste ouverte aux différentes recherches sur les processus de socialisation permet à l’espace public de prendre en compte les conditions objectives et les rapports de force dont est faite la société.

Le résumé et le sommaire sont également téléchargeables ici.