Je n’ai jamais vraiment prêté attention au magazine Médias. C’est sans doute un tort, pour quelqu’un dont un des objets de recherche est précisément… les médias. Mais ce sont surtout les médias régionaux qui m’intéressent, et Médias n’en parle guère. Surtout, ses couvertures racoleuses, et ses sommaires bien loin de la vision critique que j’en attendais, m’ont toujours rebuté. Pourtant, Médias accueille dans ses pages la revue MédiaMorphoses, éditée précédemment par l’INA, et qui clôt désormais chaque livraison du trimestriel. Ce qui donne une incontestable légitimité scientifique à Médias, mais n’est pas sans poser problème en retour, quand on se penche — enfin — sur la nature de ce magazine.

L’occasion de le faire m’en a été donnée par une conjonction d’événements. D’abord la proposition de participer à un numéro de MédiaMorphoses consacré à la liberté de la presse, et dans lequel j’étais invité à rendre compte de ce que mon travail de thèse avait bien pu faire ressortir à ce sujet, sur le thème des relations entre la presse régionale et ses lecteurs. Court article (quatre pages), mais l’occasion de publier dans une revue dont la cible ambitionne le grand public sans le sacrifier à la qualité du travail ((Il y a un comité de lecture, et chaque dossier est coordonné et écrit par des universitaires.)) ne se refuse pas.

L’autre événement, ce sont les déclarations de Robert Ménard qui « comprend sur un certain nombre de points les électeurs du Front National. » Lisant ça le jour où j’envoie mon article à MédiaMorphoses, j’apprends du même coup que l’ancien dirigeant de Reporters sans frontières, connu pour ses coups médiatiques en faveur de la liberté de la presse, a récemment fait l’apologie de la peine de mort et qu’il publie, avec Emmanuelle Duverger, un petit livre intitulé Vive Le Pen !, dont le titre n’est manifestement pas tout à fait pour rire.

Et alors ? Alors il se trouve que Robert Ménard  est directeur de la rédaction de Médias, et Emmanuelle Duverger sa rédactrice en chef. Donc je vais écrire dans un journal d’extrême droite. Comme première occasion de faire de la vulgarisation scientifique de mes recherches, on ne pouvait rêver plus… vulgaire. Passé le haut-le-cœur, je me reprends. Je me suis engagé à faire un article, je le fais (de toute façon il est envoyé). Et puis il paraîtra dans le cahier MédiaMorphoses, qui possède sa propre direction de la rédaction et son propre comité de lecture, bien distinct de Médias. Et, qui sait, Médias n’est peut-être pas si pire que ça ?

Eh bien si. C’est même assez pire, pour tout dire. J’ai reçu le numéro de Médias contenant le cahier MédiaMorphoses contenant mon papier ((Vous suivez ? J’insiste un peu, mais je ne voudrais vraiment pas que l’on croie que j’ai écrit dans Médias…)). En une : Guillaume Durand qui déclare sans rire qu’«on ne souhaite pas que je me mêle de la présidentielle », comme s’il y en avait encore pour croire que Guillaume Durand peut nuire aux puissants alors que son gagne-pain est justement de les servir. Mais qui peut l’affirmer sans crainte d’être contredit au cours d’une interview tout ce qu’il y a de convenue, conduite par Emmanuelle Duverger. Toujours en une : Élisabeth Lévy, fondatrice de Causeur, qui lance : « Le pluralisme est étranger à l’ADN de la gauche. » Quand on lit les propos tranquillement extrémistes de la dame, déroulés sans que ses intervieweurs (Ménard et Duverger, justement) y trouvent à redire, on reste fasciné devant la capacité apparemment sans limite qu’ont les réactionnaires de notre temps d’utiliser une terminologie de gauche à l’exact opposé de sa signification politique.

Vous en voulez encore ? Il y a aussi, dans ce numéro de Médias, une très complaisante interview de Jacques Vergès, menée également par Ménard et Duverger. La chronique de Robert Redeker, dont on se demande comment il peut être philosophe en haïssant autant ceux qui ne lui ressemblent pas. Le Carnet de notes de Philippe Bilger qui, quand il n’est pas totalement creux, est juste insupportable de morgue conservatrice. J’arrête là avant la nausée. À quoi cela sert-il de se ronger les sangs, de toute façon ? Je n’ai pas écrit dans Médias, j’ai écrit dans MédiaMorphoses. Je n’ai pas écrit dans Médias, j’ai écrit dans MédiaMorphoses. Je n’ai pas écrit dans Médias, j’ai écrit dans MédiaMorphoses. Je n’ai pas écrit dans Médias, j’ai écrit dans MédiaMorphoses

Romeyer Hélène (dir.), 2010. La santé dans l’espace public, Rennes : Presses de l’École des hautes études en santé publique, coll. « communication santé social »Mon article « Construction et orientation du débat public : l’établissement d’un discours dominant sur la qualité des soins à travers les “Palmarès des hôpitaux” », publié dans le livre La Santé dans l’espace public dirigé par Hélène Romeyer, est désormais disponible sur HAL.

Ce texte interroge le rôle des palmarès des hôpitaux, publiés en France depuis 1998, en tant qu’éléments de construction des enjeux du débat public autour de la qualité des soins. J’y examine les conditions de naissance et d’évolution des palmarès à la lumière des relations entre le champ de la santé et celui des médias. Destiné à consacrer une certaine forme d’excellence liée à une rationalité technique et économique, ce type d’enquête est rendu possible par l’établissement de liens privilégiés entre un groupe de journalistes et de médecins qui partagent une vision de l’hôpital conçu comme une entreprise devant avant tout être rentable.

L’analyse détaillée du contenu et des sources du premier de ces palmarès fait apparaître un arrière-plan idéologique bien éloigné de l’idéal de transparence revendiqué par ses auteurs. L’étude de sa réception par la presse de l’époque montre pourtant que le « coup » médiatique a parfaitement fonctionné, puisque ni la méthodologie des palmarès, ni les présupposés qui président à leur élaboration, ni l’évidente proximité de leurs conclusions avec l’évolution des politiques publiques de gestion de la santé n’ont jamais été discutés.

Replacer l’étude des palmarès des hôpitaux dans le contexte plus général des réformes néolibérales conduit in fine à s’interroger sur les processus de mise en place et d’animation d’un espace public partiel (concernant la qualité des soins) et partial (traversé par un discours présenté comme naturel et hétérodoxe, mais orienté en fonction d’intérêts particuliers et dont la vocation est d’imposer une vision dominante).

Correspondance au MansCe ne sera donc pas pour cette fois. J’ai soutenu ma thèse fin novembre, puis ai été qualifié en 71e section début 2011. A alors commencé la recherche d’un poste de maître de conférences. Dans un contexte qui n’est pas ce qu’on pourrait désigner comme véritablement porteur pour l’emploi à l’université, les sciences de l’information et de la communication demeurent parmi les moins inaccessibles des disciplines, avec 45 postes offerts au recrutement cette année. Encore faut-il trouver un profil de poste auquel il paraît raisonnable de prétendre, et en la matière, mieux vaut être spécialisé en communication des organisations ou en technologies du web, secteurs qui constituent l’immense majorité des propositions. Quand on s’intéresse à la presse, plus particulièrement écrite, et plus particulièrement encore régionale, c’est pas gagné d’avance. Et quand sa thèse est une critique théorique (certes accompagnée d’un important travail de terrain) sur le concept d’espace public, ça se complique un peu.

J’ai quand même envoyé onze candidatures — dont une seule purement géographique —, et reçu trois invitations pour une audition : à Paris 8, Lyon 2 et Nice. J’y ai été classé respectivement deuxième, troisième et quatrième. Et assez logiquement, je n’ai eu aucun poste. Mais pas de regrets : troisième à Lyon où je pensais avoir foiré l’entretien à cause d’un impensable cafouillage qui m’a fait répondre complètement à côté d’une question toute simple, c’est une bonne nouvelle. Et deuxième à Paris 8, c’est un très bon classement, surtout sachant que la personne qui a été classé première avait un CV était quatre fois plus long que le mien, bien que ce soit également son premier poste de MCF. Accessoirement, cela montre que le candidat local, même s’il correspond au profil, n’est pas nécessairement préféré aux autres — en l’occurrence, l’injustice aurait été de me classer devant elle.

Passé donc la déception de ne pas avoir été recruté la première année, aucune amertume. J’ai des projets de publication, un contrat qui s’annonce pour l’automne, je ne m’ennuierai pas avant la prochaine campagne, et je pourrai profiter un peu de mon fils cette année. Sa première année à lui ayant été celle de la rédaction de ma thèse, je suis en manque. Le plus dur à avaler, dans cette histoire, c’est un à-côté auquel je ne m’attendais pas : l’impossibilité de donner des cours à partir de la rentrée. J’ai été ATER pendant deux ans, j’ai une année devant moi, c’est l’occasion rêvée pour avoir quelques charges de cours, et peut-être même pour aller voir ailleurs, enseigner dans une autre fac. Contacts pris à l’IUT de Lannion, cela semblait dans l’ordre du possible. Mais après une semaine d’interrogation des textes de loi, des services administratifs et d’un syndicat, balle peau. Je n’ai pas 900 heures de travail dans l’année malgré plusieurs contrats. Je ne suis pas chef d’entreprise et on ne peut pas faire semblant avec le statut d’auto-entrepreneur. Surprise du chef : être chômeur n’est pas dans les conditions permettant de décrocher des charges d’enseignement. En gros, si tu travailles déjà, tu peux travailler plus. Mais si tu ne travailles pas, alors tu ne peux pas travailler. Logique, non ?