ebdo, nº5, 9 février 2018

ebdo, nº5, 9 février 2018


[Mise à jour du 22 mars : l'arrêt de la parution d'ebdo est confirmée. Pas de tentative de relance du titre: il s'agit de sauver les meubles, soit XXI et 6 Mois. Cf capture dans les commentaires.]
Enfin un peu de temps pour écrire ce billet trop longtemps repoussé, me disais-je hier soir. Un dernier coup d'œil à mon fil Twitter avant de m'y mettre. Et cette nouvelle : « Deux mois après son lancement, Ebdo dépose le bilan ». C'est Buzzfeed qui l'annonce, pour l'instant c'est encore démenti par la direction, mais confirmé par des sources internes. Dans quelques heures ce sera clarifié, et dans quelques semaines on saura si le journal survit. Le peut-il ?
Ebdo était, « sur le papier » (ô ironie de la formule), un des beaux projets médiatiques de cette saison qui n'en manque pas. Sur les réseaux socionumériques, Monkey et Loopsider ont emboîté le pas à Brut, qui se lance à l'international, et Explicite, qui se cherche un modèle économique (on attend les détails d'une formule sur abonnement). En ligne, Le Média veut faire un autre JT, à gauche toute, et AOC entend carrément « participer à la reconstruction de l'espace public et de la démocratie », comme l'a déclaré Sylvain Bourmeau la semaine dernière aux Assises du journalisme. Ceci pendant que, sur le papier donc, Le Nouveau Magazine littéraire s'attelle à renouveler intellectuellement la gauche. À droite, on s'agite aussi : Contre-terrorisme est arrivé en kiosque, RT sur la TNT et La France libre sur le net. Bref, comme je l'ai écrit ailleurs : la conjoncture est difficile, mais les projets sont légion.

Ebdo, le journal qui sonnait creux

ebdo, nº1, 12 janvier 2018

ebdo, nº1, 12 janvier 2018


Certains de ces projets étaient plus prometteurs que d'autres, Ebdo appartenant sans conteste à cette catégorie. Il annonçait, dans son manifeste, « un journal à haute valeur ajoutée », et l'on était tenté d'y croire : n'était-il pas lancé par les fondateurs des revues XXI et 6 Mois, références en termes de reportage et de photojournalisme ? Le désenchantement fut rapide. Dès le premier numéro, le dossier de une sur la SNCF sonnait creux. On peut pardonner une couverture moche (Dieu qu'elle l'était !), mais on veut de l'info ! Or, d'article en dossier, on peinait à en trouver… Thierry Mandon, ancien ministre et directeur de la publication, avait beau, sur les plateaux et lors de la Nuit des idées, à Paris, clamer qu'Ebdo faisait de l'éducation populaire ((L'éducation populaire, mon vieux, ça a un sens. Demander aux lecteurs des idées de sujets, se faire héberger par eux en reportage, c'est cool et « participatif » si tu veux, mais ça n'est pas de l'éducation populaire.)) et visait celleux qui se sont éloigné·e·s de la lecture des hebdos pour les reconquérir, il suffisait de lire le journal pour se rendre compte qu'on n'y était pas. Pas assez proche de l'actu, pas assez original en magazine, pas assez fouillé dans les dossiers. Malgré un format plaisant, des journalistes pas manchots, quelques idées graphiques, ça tournait à vide.
Et puis, le crash : l'« affaire Nicolas Hulot », grand titre du numéro 5, paru le 9 février. Le dossier qu'il ne fallait pas sortir, malgré les dénégations de Laurent Beccaria. Des faits non caractérisés, des documents de justice non consultés… Un vrai ratage. Et grave : car s'il y a vraiment quelque chose contre Hulot, s'il a vraiment violé une photographe, alors ce papier, semblant sorti à la va-vite pour ne pas se faire griller une exclu et pousser des ventes faiblardes, fait plus de mal que de bien. On ne révèle pas une affaire sans éléments probants. On ne révèle pas un scandale sans en avoir encore dans la manche pour parer aux inévitables attaques. Là, rien. Dans le numéro suivant, une seule justification : on avait l'info, il fallait la sortir, fermez le ban.
La suite est impitoyable : les ventes, relancées légèrement le temps du numéro « affaire », s'effondrent. Le tour de table prévu (et peut-être tenu pour acquis ?) capote. Dépôt de bilan.

Le Média, le JT qui dérape

Et j'en reviens à l'idée de départ de ce billet : parmi les nouveaux médias récemment lancés, et qui promettent tous, d'une manière ou d'une autre, de renouveler le journalisme, on n'est pas toujours très clair avec la déontologie. Tout en s'en réclamant, parfois à cor et à cri. Deux semaines après l'enquête sans éléments d'ebdo, c'est Le Média qui entend donner une leçon de journalisme à toute la profession. Dans une séquence qui a depuis fait le tour du net, le correspondant au Liban Claude El Khal explique le choix du Média ne pas diffuser d'images de la Ghouta orientale, alors sous le feu du régime syrien, car aucune information sourcée et vérifiée ne pourrait venir de cette zone.

Qu'importe si de nombreux reporters, agences de presse et civils font depuis longtemps un travail difficile pour informer sur la Syrie. Qu'importe si le récit d'Abdulmonam Eassa, photographe de l'AFP vivant dans la Ghouta orientale et expliquant son quotidien dans un article poignant, avait été publié dix jours plus tôt et avait été largement partagé, notamment par des journalistes. Qu'importe. Claude El Khal nie tout ce travail et renvoie dos à dos des belligérants de très inégale force au nom du pacifisme. Sur les réseaux socionumériques, puis dans les gazettes, l'affaire a vite tourné vinaigre et les invectives ont fleuri. Sophia Chikirou, fondatrice du Média, y a répondu dans un article et une vidéo ahurissante, à la fin de laquelle elle se fait applaudir par une équipe aussi unanime à l'écran que minée en coulisse par une série de départs.
Il aurait été facile de faire cesser la crise. Puisque Claude El Khal avait proféré quelques énormes conneries, il suffisait de l'admettre et de passer à autre chose. Mieux gérer la sortie/éviction d'Aude Rossigneux, par exemple, et se concentrer sur ce qui fait la force du Média : une autre hiérarchie de l'information, que les confrères commençaient à saluer. Mais non : un mois plus tard, les dirigeants du Média continuent à soutenir mordicus Claude El Khal. Or celui-ci n'a pas agi comme un chroniqueur, un invité, ou même un expert qui n'aurait parlé qu'en son nom ((Après tout, les nombreuses sorties racistes des Zemmour, Finkielkraut & cie ne valent pas décrédibilisation aux complaisants médias qui les invitent.)). Claude El Khal a parlé au nom de la rédaction, a dit « nous », et a présenté son papier comme l'explication d'une position commune. En cela, il a sombré dans les ambiguïtés d'une certaine gauche à propos de la Syrie, et Le Média a l'air de vouloir couler avec lui.

Loopsider, la simplification tourne en boucle

Mon troisième exemple remonte à janvier, et au premier succès viral de Loopsider.


Pour l'analyse de cette séquence au cours de laquelle une tentative (ratée) d'ironie de la part de la journaliste Caroline Broué en direction de l'écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie est prise pour du racisme, je vous renvoie à André Gunthert. Et à sa conclusion : « L’industrialisation de la conflictualité n’apparaît pas comme un horizon, mais bien comme une limite du journalisme. » Dans le cas de Loopsider et des formats vidéos viraux, la nécessaire simplification, la facilité du clash peuvent avoir un effet (une rentabilité ?) sur le coup, mais on est loin de la refondation de l'espace public voulue par Sylvain Bourmeau. Dans le cas du Média, sous couvert de pacifisme, on alimente une rivalité entre le « eux » (les « médias dominants », corrompus et biaisés) et le « nous », nécessairement vertueux, jusque dans ses aveuglements. Enfin, chez ebdo, c'est la surenchère interprétative qui fait déraper : en créant un conflit là où il n'y a pas (encore) de faits avérés, le journal se fourvoie et perd la confiance de ses rares lecteurs.

Vraiment, nº1, 21 mars 2018

Vraiment, nº1, 21 mars 2018


Alors quoi, faut-il rejeter la conflictualité pour lancer un nouveau média ? Faire du « journalisme de solutions » ? Aujourd'hui 21 mars sort le premier numéro de Vraiment. Un journal qui se veut « apolitique » ((Dans l'édito du numéro zéro.)) et factuel. Vraiment ? Deux de ses trois cofondateurs sont des anciens du cabinet d'Emmanuel Macron quand il était ministre de l'Économie. Apolitique, donc. Une autre illusion dont il serait bon que les journalistes se défassent. Car si l'exacerbation de la conflictualité cache mal la pauvreté de la pensée, la mise en avant d'une quelconque objectivité n'est bien souvent que le faux nez de l'adhésion au régime de vérité dominant. En matière de déontologie, ce n'est pas tout à fait l'idéal non plus.

Fin octobre, Jean-Noël Lafargue, dont on ne recommandera jamais assez le blog ((Qui s'appelle Le Dernier Blog pour une raison qu'il explique ici, et à laquelle le temps qui passe ne cesse d'ajouter à l'ironie, puisqu'il en crée régulièrement de nouveaux, comme ici ou ou encore si vous préférez les Pokémons.)), avait piqué ma curiosité avec ce reportage sur le scanner à livres fabriqué, essayé et adopté par les partageux bidouilleurs de La Quadrature du Net — dont l'action ne se limite pas, et de loin, à scanner de vieux Jules Verne, mais qui montrent ainsi que le partage, la réflexion sur les communs, l'internet libre et toussa toussa, ce n'est pas que des mots. Et ce n'est pas qu'à Paris : Benjamin Sonntag, ci-devant confondateur de La Quadrature et directeur technique d'Octopuce, était à Nancy samedi 18 janvier pour y présenter cet intrigant scanner. Les réjouissances avaient lieu à l'invitation de Nancy Numérique, et se tenaient dans une des salles de lecture de la superbe bibliothèque municipale, rue Stanislas ((L'après-midi avait également lieu une démonstration tout public à la Médiathèque de la Manufacture, mais je n'y étais pas.)).

Benjamin Sonntag (à gauche) fait la démontration du scanner à livres

Benjamin Sonntag (à gauche) fait la démonstration du scanner à livres


L'idée de départ est la suivante : concevoir un appareil qui facilite la numérisation de livres tout en évitant de les abîmer. Contrainte supplémentaire : que l'investissement, la fabrication et l'utilisation soient à la portée d'un (ou plusieurs) bricoleur ayant quelques week-ends devant lui. Il ne s'agit donc pas d'écraser vos livres pour les faire entrer dans un scanner à plat, ni de mettre au point un système qui tourne les pages tout seul (ça existe, c'est cher et pas non plus sans danger pour le livre), mais de trouver le juste milieu. Benjamin Sonntag est parti du projet développé par Dan Reetz et la communauté regroupée autour du site diybookscanner.org, et y a ajouté un logiciel de gestion de projet de sa conception.
Une vitre, deux appareils photo, et c'est parti !

Une vitre, deux appareils photo, et c'est parti !


Le principe : un berceau en V accueille le livre ouvert, qui est plaqué par le dessous contre une vitre vers laquelle pointent deux appareils photo préréglés, qui photographient chaque double page. La machine permet ainsi de scanner jusqu'à 700 pages par heure, et la moulinette de logiciels ((Je ne détaille pas ici, tout les liens sont disponibles sur cette page. Tous les logiciels et plans utilisés sont évidemment libres.)) qui y est reliée recadre les pages, ajuste le contraste et les convertit en noir et blanc, avant de les envoyer à la reconnaissance optique de caractères. On peut donc obtenir en à peu près deux heures un fichier texte de son livre, qu'il ne restera plus qu'à relire et à peaufiner pour en faire un bel ePub, par exemple. Seule la phase de démarrage a l'air exigeant : il faut découper et assembler précisément le bois pour garantir les angles de prise de vue (mais des planches prédécoupées sont également en vente), installer et configurer les logiciels pour mettre en place la chaîne de traitement (sous Linux pour le modèle présenté, j'imagine que cela doit être également possible sous Windows). Pour environ 700€ appareils photo compris, certainement moins si l'on découpe soi-même le bois, on dispose d'un scanner parfaitement fonctionnel et d'une qualité bluffante — cela se voyait dans les yeux des bibliothécaires présents.
Tu es geek, mon ami ? Sache que toute l'informatique tient dans un Raspberry Pi (sauf samedi, où le logiciel était cassé et où Benjamin Sonntag avait apporté un PC de bureau).

Tu es geek, mon ami ? Sache que toute l'informatique tient dans le Raspberry Pi visible en bas à gauche (sauf samedi, où le logiciel était cassé et où Benjamin Sonntag avait apporté un PC de bureau, mais d'ordinaire, ça marche. De toute façon tu es geek, ça ne te fait pas peur).


Maintenant, à quoi ça sert ? À ne pas laisser Google s'occuper de la culture à ta place, camarade. À faire vivre le domaine public en participant au mouvement mondial de partage des connaissances, les livres ainsi numérisés pouvant rejoindre les silos d'Archive.org ou de Wikisource, par exemple. À numériser ses propres livres pour les mettre dans sa tablette ou s'en servir comme outil de travail — les livres en papier, c'est bien, mais il n'y a pas de bouton « rechercher » dedans. Tout cela pose des questions de droits d'auteur, bien sûr. Qu'ai-je le droit de numériser ? Tous les livres que je possède (ou que j'emprunte en bibliothèque) à condition que je possède aussi le scanner. Qu'ai-je le droit de diffuser ? Tous les livres du domaine public. Pourquoi ma bibliothèque n'a-t-elle pas de bookscanner à disposition du public ? Parce que le droit doit encore évoluer, mais les bibliothécaires sont comme toi : ils veulent que le savoir circule, et soit approprié. Dans le bon sens du terme : assimilé, réutilisé librement — et pas confisqué pour faire la fortune de celui qui a les clés du coffre. Et tu sais quoi ? Ça ne tuera pas les bibliothèques, ni les auteurs, ni les éditeurs, ni les libraires. Sauf ceux qui ne veulent pas voir que le monde change. Alors quoi ? On monte un bookscanner à Nancy ?

Ulule, Kickstarter et autres fourmillent de projets plus ou moins bien ficelés, plus ou moins bien outillés pour attirer le chaland-contributeur, et lui offrant plus ou moins de goodies et autres privilèges en fonction de l’importance de son engagement. Pour que le jeu en vaille la chandelle, et que le contributeur passe à la caisse, on lui promet en effet monts et merveilles : magnets, t-shirts, éditions limitées, visite de l’usine, concert à domicile…
Ce faisant, on ne mobilise qu’une catégorie d’engagement : l’engagement financier. Qui paie le plus obtient le plus. Et pour l’engagement affectif, voire politique ? Qui paie le plus… n’a rien de plus. C’est le principe de l’abonnement ou de l’adhésion de soutien transposé au crowdfunding. C’est ainsi que l’apabiz, une association antifasciste allemande, a récemment financé via Startnext le lancement de son projet Rechtes Land, cartographie interactive des activités néonazies, des lieux de mémoire et des organismes de conseil aux victimes ((Ce que la taz a résumé par « Sag mir wo die Nazis sind » (« Dis-moi où sont les nazis »), jeu de mot sur le titre de la version allemande (« Sag mir wo die Blumen sind ») d’une chanson de Peete Seeger dont l’interprétation par Joan Baez est à tomber par terre. Bref.)). Certes, il ne s’agit pas d’une console de jeu et les sommes en… jeu n’ont rien à voir. Rechtes Land a bravement récolté 6015€, ce qui est toutefois plus que le minimum demandé (5000€), permettant de salarier deux personnes le temps de rassembler les données de base et de mettre au point une première version de la carte, d’ores et déjà accessible en bêta. Qu’est-ce qu’on gagne ? Pour 5€, le plaisir de donner un coup de main (« virtueller Händedruck »). Pour 30€, don maximum proposé, un an du journal de l’association, d’ordinaire réservé aux adhérents (cotisation minimale de 60€ par an) : c’est un cadeau, mais on reste dans des échelles très modestes. Qu’importe, si c’est ce que recherchent les initiateurs du projet… et ses supporters, qui n’accepteraient certainement pas une démarche à caractère franchement commercial.
Dans le même ordre d’idées, Martin Vidberg nous apprenait cette semaine que le site dédié au jeu de société Tric Trac adoptait, comme le font de plus en plus de journaux, un système de paywall. Payer pour pouvoir lire des articles et regarder des vidéos auparavant gratuites ? Pas tout à fait : tout l’ancien contenu reste gratuit, et les nouveaux articles et rubriques pourront être accessibles en priorité en ayant acheté des Pouicos, la monnaie interne du site. L’intérêt de la chose, c’est que, lors de sa présentation aux habitués du site, le système n’est pas encore au point. On sait combien de Pouicos on peut acheter avec combien d’euros, mais ils ne donnent pour l’instant rien : combien il faudra en dépenser pour accéder en priorité aux vidéos HD n’est pas indiqué — ni même, apparemment, connu des responsables du site. « La première fonction des Pouicos est de soutenir Tric Trac », pas de gagner des cadeaux.
Et ça marche : d’après Martin Vidberg, 700 personnes se sont abonnées le premier jour, comblant le déficit des trois mois à venir. Un miracle de l’esprit « communautaire », qui fait que certains aficionados sont prêts à faire des dons à une entreprise ? Peut-être. Un indice en tout cas qu’au-delà des discours enchanteurs sur les marques et le branding, c’est surtout le contenu qui intéresse le lecteur. Tric Trac laisse tomber ce qui le faisait vivre jusqu’à présent (la fabrication de sites pour d’autres), mais détournait de son activité principale des ressources humaines, pour ce concentrer sur le contenu de son propre site. Le lecteur lui en sait gré. On ne s’en plaindra pas, sans se bercer d’illusions non plus : devant le succès rencontré, un éditeur de jeux, qui a très certainement intérêt à l’existence d’un tel site communautaire de référence, a annoncé offrir en cadeau aux premiers souscripteurs une extension à l’un de ses jeux. Même à la marge des grands mouvements industriels du secteur, les petites initiatives font jouer les mêmes ressorts.

Galatasaray Üniversitesi

Galatasaray Üniversitesi (photo Helge Høifød, CC BY-SA, source Wikipédia)


Étrange rentrée… Le second semestre de cette année à Galatasaray m’apparaît comme coupé en deux. Pas seulement parce que l’université elle-même est coupée en deux par l’avenue Çırağan, une partie de son campus bercée par les flots du Bosphore et l’autre grimpant à l’assaut de la colline de Yıldız. Coupée en deux parce que, si les cours ont repris dans les salles habituelles, une bonne partie des bureaux a elle été détruite lors d’un incendie, survenu le 22 janvier. Très violent incendie qui a emporté la totalité de l’étage supérieur du bâtiment principal de l’université, l’ancien palais Feriye, et ravagé une partie des deux autres niveaux, désormais inaccessibles.
L’accident ne fait guère de doute, les rumeurs d’installation d’un hôtel de luxe en lieu et place de l’université ne semblent pour une fois pas fondées et, surtout, il n’y a pas eu de blessés. Mais beaucoup d’archives, de livres et de souvenirs perdus. L’université Galatasaray est très jeune, puisqu’elle a ouvert en 1992, mais ses bâtiments ont précédemment accueilli l’internat des filles du lycée du même nom. Une collègue me racontait ainsi avoir dormi dans ce bâtiment pendant ses années de lycée, avant de revenir y installer son bureau quand elle est devenue enseignante à l’université. Difficile de passer désormais devant sa ruine tous les jours.
Galatasaray Üniversitesi — après l’incendie du 22 janvier 2013 (photo DHA)

Galatasaray Üniversitesi — après l’incendie du 22 janvier 2013 (photo DHA)

C’est peu de dire que les questions de partage des œuvres font régulièrement l’actualité. La récente fermeture de MegaUpload, qui a suscité aussi bien l’enthousiasme répressif du chef de l’État qu’une pluie de perles lâchées par des députés, des éditorialistes ou des responsables de sociétés d’auteurs, a confirmé, une fois de plus, la médiocrité du débat politique sur le sujet. Pourtant, le succès des plateformes de téléchargement direct, MegaUpload ou autres, montre que les internautes sont prêts à payer pour disposer d’un accès pratique à des contenus artistiques diversifiés. Pourquoi ne pas en profiter pour réfléchir à un autre modèle, dégagé des appétits financiers des uns et de la voracité des autres ? Un modèle légal, qui permettrait de rémunérer les auteurs et de satisfaire la curiosité du public ((À propos de rémunération des auteurs et de curiosité : bel exemple du côté de Publie.net, qui édite de beaux livres numériques pas chers. À propos de voracité, je serais tenté de m’étendre sur le sort que fait Gallimard à la nouvelle traduction du Vieil homme et la mer par François Bon. Mais d’autres en ont déjà beaucoup — et bien — parlé depuis vendredi et l’annonce par François Bon du retrait du livre de la vente. Lire notamment (et ces billets renvoient à d’autres, non moins intéressants) : « Le Roi est nu ! » par Lionel Maurel, « Hemingway est-il dans le domaine public ? » par Cécile Deshedin, « Que protègent les droits d’auteur ? » par André Gunthert, « Nous n’échapperons pas à reposer la question du droit » par Hubert Guillaud.)).

Les bibliothèques font ça depuis longtemps : mettre à disposition, gratuitement ou contre modeste abonnement, des œuvres essentiellement fixées sur papier. Et qui n’a jamais, nonobstant les avertissements affichés au-dessus des photocopieurs de la BU, dupliqué des chapitres entiers, voire des livres entiers de bouquins difficilement trouvables ou trop chers pour sa bourse d’étudiant ? Pourtant, c’est illégal, puisqu’une affiche nous l’interdit. Mais l’affiche ne dit pas tout. La récente refonte de la loi sur la copie privée ouvre même une perspective inédite en introduisant la notion contestée de « source légale de la copie ». En gros, la copie privée d’œuvres de l’esprit demeure autorisée, à condition que le copiste puisse prouver que la source de la copie est en sa possession de manière légale. Or, comme l’explique très bien Lionel Maurel/Calimaq, les bibliothèques sont une source parfaitement licite d’œuvres imprimées. Conséquence : vous pouvez copier les livres de votre bibliothèque préférée en toute légalité, à condition de respecter quelques précautions :

  • Les copies doivent être réservées à un usage personnel
  • Elles doivent avoir été réalisées avec le matériel personnel du copiste (donc pas avec la photocopieuse de la BU…)
  • Elles doivent avoir été réalisées à partir des originaux conservés à la bibliothèque
  • Elles ne doivent pas enfreindre des mesures de protection technique (DRM)

Bon, il n’est pas évident que les directions des établissements concernés voient arriver d’un bon œil des lecteurs équipés de scanners et appareils photo un peu partout — j’imagine d’ailleurs que cela est déjà arrivé, et j’aimerais bien savoir comment cela s’est terminé… D’où une idée aussi simple que réjouissante : organisons des copy-parties (ici et ) ! Chacun vient avec son portable, son téléphone, son disque dur, quelques DVD vierges s’il veut copier des films ((Mais pas de CD, qui constituent une exception : l’absence d’accord sur leur statut en bibliothèque n’en fait pas une source licite.)), on s’installe, on ne fait pas (trop) de bruit et on copie/photographie/scanne ce que l’on désire. L’usage personnel qui est au bout de l’action n’empêche pas, bien au contraire, que l’action soit collective.

Alors, c’est quand, c’est où ? Ça ne vous étonnera pas d’apprendre que la première copy-party (du monde, si si) aura lieu à La Roche-sur-Yon, dont l’IUT abrite Olivier Ertzscheid, remuant observateur des métamorphoses du document. Ce sera le 7 mars, à 18h. Copy-party, puis débat et apéro partagé. Tous les détails sont ici.

Il y a quelques mois déjà, l’association Parcoursic lançait un appel pour renouveler son équipe. Ses trois fondatrices, Camille Laville, Laurence Leveneur et Aude Rouger ont vainement cherché des forces vives pour reprendre en main le destin de cette association qui a représenté, pour bon nombre de doctorants en info-com, un lieu de rencontres et d’échanges. Aujourd’hui, elles annoncent la dissolution de l’association : Parcoursic a vécu.

J’ai eu la chance d’intervenir lors des premières journées d’études de l’association, organisées en 2007, puis de rédiger un chapitre de Construire son parcours de thèse, qui fut ma toute première publication scientifique acceptée. On ne dira jamais assez combien il est important, pour un doctorant, de ne pas se sentir seul, de savoir que d’autres que soi traversent les mêmes étapes et les mêmes doutes. À l’échelle de son labo ou d’une association comme Parcoursic, le partage d’expériences est essentiel. Le travail de thèse est par essence solitaire, mais il doit se nourrir de la comparaison et de la confrontation avec d’autres objets, d’autres méthodes dont on choisit de s’inspirer ou de se détourner. Mais si c’était si bien, qu’as-tu donc fait pour sauver Parcoursic ? Rien : je me suis investi dans mon labo, où j’étais élu représentant des doctorants, et où j’ai tâché d’accompagner la structuration des échanges entre des doctorants qui ne se connaissaient guère. Une histoire parallèle, en somme, qui trouve une de ses motivations dans l’accueil reçu lors des journées d’étude de 2007. Merci donc à Parcoursic.

Communiqué du bureau de l’association Parcoursic
En 2007, pendant notre « parcours de thèse », nous avons voulu créer un espace d’échanges qui réunirait les jeunes chercheurs en Sciences de l’Information et de la Communication autour de questionnements tant pratiques que scientifiques.

Les premières journées d’études Parcoursic, organisées en 2007 à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord autour du « Parcours d’un jeune chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication », ont rencontré un large succès. Celui-ci ne s’est pas démenti au fil des ans et des actions conduites par l’association Parcoursic : publication d’un ouvrage, réalisation et gestion d’un site d’information, rédaction d’un guide du doctorant en SIC, création d’une maison d’édition, partenariats avec des équipes locales, à Lille et à Lyon, pour l’organisation de nouvelles éditions des journées d’études.

Depuis quelque temps déjà, nos activités professionnelles respectives ne nous permettaient plus de continuer à porter les projets nés de l’association Parcoursic. Aujourd’hui, compte tenu de la difficulté à générer une force de travail autour de l’association et n’étant pas en mesure de former correctement une nouvelle équipe, c’est avec beaucoup de tristesse, mais aussi avec la satisfaction d’avoir accompagné de nombreux jeunes chercheurs, que nous prenons la décision de dissoudre l’association Parcoursic.

Nous espérons que d’autres initiatives verront le jour, portées par d’autres équipes de jeunes chercheurs, car nous sommes persuadées que le besoin d’un espace d’échanges décloisonné, à l’origine de l’association Parcoursic, demeure.

Le bureau de l’association Parcoursic
Camille Laville, Laurence Leveneur, Aude Rouger

Je n’ai jamais vraiment prêté attention au magazine Médias. C’est sans doute un tort, pour quelqu’un dont un des objets de recherche est précisément… les médias. Mais ce sont surtout les médias régionaux qui m’intéressent, et Médias n’en parle guère. Surtout, ses couvertures racoleuses, et ses sommaires bien loin de la vision critique que j’en attendais, m’ont toujours rebuté. Pourtant, Médias accueille dans ses pages la revue MédiaMorphoses, éditée précédemment par l’INA, et qui clôt désormais chaque livraison du trimestriel. Ce qui donne une incontestable légitimité scientifique à Médias, mais n’est pas sans poser problème en retour, quand on se penche — enfin — sur la nature de ce magazine.

L’occasion de le faire m’en a été donnée par une conjonction d’événements. D’abord la proposition de participer à un numéro de MédiaMorphoses consacré à la liberté de la presse, et dans lequel j’étais invité à rendre compte de ce que mon travail de thèse avait bien pu faire ressortir à ce sujet, sur le thème des relations entre la presse régionale et ses lecteurs. Court article (quatre pages), mais l’occasion de publier dans une revue dont la cible ambitionne le grand public sans le sacrifier à la qualité du travail ((Il y a un comité de lecture, et chaque dossier est coordonné et écrit par des universitaires.)) ne se refuse pas.

L’autre événement, ce sont les déclarations de Robert Ménard qui « comprend sur un certain nombre de points les électeurs du Front National. » Lisant ça le jour où j’envoie mon article à MédiaMorphoses, j’apprends du même coup que l’ancien dirigeant de Reporters sans frontières, connu pour ses coups médiatiques en faveur de la liberté de la presse, a récemment fait l’apologie de la peine de mort et qu’il publie, avec Emmanuelle Duverger, un petit livre intitulé Vive Le Pen !, dont le titre n’est manifestement pas tout à fait pour rire.

Et alors ? Alors il se trouve que Robert Ménard  est directeur de la rédaction de Médias, et Emmanuelle Duverger sa rédactrice en chef. Donc je vais écrire dans un journal d’extrême droite. Comme première occasion de faire de la vulgarisation scientifique de mes recherches, on ne pouvait rêver plus… vulgaire. Passé le haut-le-cœur, je me reprends. Je me suis engagé à faire un article, je le fais (de toute façon il est envoyé). Et puis il paraîtra dans le cahier MédiaMorphoses, qui possède sa propre direction de la rédaction et son propre comité de lecture, bien distinct de Médias. Et, qui sait, Médias n’est peut-être pas si pire que ça ?

Eh bien si. C’est même assez pire, pour tout dire. J’ai reçu le numéro de Médias contenant le cahier MédiaMorphoses contenant mon papier ((Vous suivez ? J’insiste un peu, mais je ne voudrais vraiment pas que l’on croie que j’ai écrit dans Médias…)). En une : Guillaume Durand qui déclare sans rire qu’«on ne souhaite pas que je me mêle de la présidentielle », comme s’il y en avait encore pour croire que Guillaume Durand peut nuire aux puissants alors que son gagne-pain est justement de les servir. Mais qui peut l’affirmer sans crainte d’être contredit au cours d’une interview tout ce qu’il y a de convenue, conduite par Emmanuelle Duverger. Toujours en une : Élisabeth Lévy, fondatrice de Causeur, qui lance : « Le pluralisme est étranger à l’ADN de la gauche. » Quand on lit les propos tranquillement extrémistes de la dame, déroulés sans que ses intervieweurs (Ménard et Duverger, justement) y trouvent à redire, on reste fasciné devant la capacité apparemment sans limite qu’ont les réactionnaires de notre temps d’utiliser une terminologie de gauche à l’exact opposé de sa signification politique.

Vous en voulez encore ? Il y a aussi, dans ce numéro de Médias, une très complaisante interview de Jacques Vergès, menée également par Ménard et Duverger. La chronique de Robert Redeker, dont on se demande comment il peut être philosophe en haïssant autant ceux qui ne lui ressemblent pas. Le Carnet de notes de Philippe Bilger qui, quand il n’est pas totalement creux, est juste insupportable de morgue conservatrice. J’arrête là avant la nausée. À quoi cela sert-il de se ronger les sangs, de toute façon ? Je n’ai pas écrit dans Médias, j’ai écrit dans MédiaMorphoses. Je n’ai pas écrit dans Médias, j’ai écrit dans MédiaMorphoses. Je n’ai pas écrit dans Médias, j’ai écrit dans MédiaMorphoses. Je n’ai pas écrit dans Médias, j’ai écrit dans MédiaMorphoses