(oui, le titre de ce billet est un peu facile, mais on est au mois d’août, on se détend)
[MàJ février 2018 : ma thèse est désormais accessible | lire les commentaires pour précisions]
La lecture de ce billet de Daniel Bourrion m’a fait me replonger dans mes archives et ça y est, j’ai retrouvé le contrat de diffusion commerciale de ma thèse. Entre autres formalités qui accompagnent le dépôt de sa thèse en vue de sa soutenance, on doit en effet dire si l’on accepte que l’Atelier national de reproduction des thèses (ANRT) la diffuse sous forme de microfilm (et, désormais, l’imprime à la demande). J’ai donc signé cet accord, et même deux fois : lors du dépôt de ma thèse, et quelques mois après avoir soutenu, lorsqu’on m’a renvoyé un contrat par mail, comme s’il ne s’était rien passé. J’ai en même temps déposé ma thèse en archive ouverte, et bien m’en a pris.
Aujourd’hui, je ne la trouve en effet ni sur le site de l’ANRT (où, au vu des tarifs pratiqués, personne n’irait de toute façon l’acheter), ni sur theses.fr (alors que j’étais pourtant bien référencé dans le Fichier central des thèses qui a précédé ce site), ni sur le site de Paris 8, où j’avais également approuvé sa diffusion. Vive donc l’open access, et à quand une prise en compte de ses enjeux dans la formation doctorale ? (J’aime notamment la proposition, sur le Livre blanc des thèses, de la mise en place d’une plateforme de rédaction de thèse en ligne.)
Ci-dessous, pour mémoire et archivage, le contrat que j’ai signé :

recto

AUTORISATION DE DIFFUSION DE TYPE "COMMERCIAL"
Je soussigné(e) M., Mme ou Mlle
demeurant
Auteur de la thèse intitulée :
Déclare avoir pris connaissance des modalités énumérées au dos et autorise l’Atelier national de reproduction des thèses :

  • de l’Université de Grenoble II (pour les thèses de gestion, d’économie, de sciences exactes, de pharmacie et d’odontologie).
  • ou de l’Université de Lille III (pour les thèses de lettres, théologie, sciences humaines, sociales et politiques, droit).

à éditer ma thèse sous la forme matérielle de microfiches et aux fins d’une diffusion de type commercial.
Fait à Saint-Denis, le
Signature de l’auteur de la thèse, précédée de la mention manuscrite "lu et approuvé"

verso

AUTORISATION DE DIFFUSION DE TYPE "COMMERCIAL"
1) Cette autorisation s’applique à l’ensemble des opérations nécessaires à l’édition micrographique : reproduction, catalogage et signalement, promotion et diffusion. L’Atelier national de reproduction des thèses est autorisé en particulier à engager toutes les actions relevant de la diffusion : vente directe, signature d’accords de distribution, etc.
2) L’Atelier effectuera gracieusement les activités d’édition mentionnées au premier alinéa. Aucune contrepartie financière ne peut être demandée à l’auteur.
3) S’agissant des droits d’auteur :

  • si le total des commandes concernant la thèse est supérieur ou égal à sept exemplaires sur sur l’année, la cession des droits de reproduction s’effectue à titre onéreux. Les droits d’auteur sont fixés à 10 % du prix de vente final, quelle que soit la procédure adoptée ;
  • si le total des commandes concernant la thèse est inférieur à sept exemplaires sur l’année la cession des droits de reproduction s’effectue à titre gratuit. Aucun droit d’auteur ne versé.

4) L’Atelier s’efforce, dans la mesure du possible, de faire porter l’accord de distribution ou de diffusion sur une série minimale de sept exemplaires.
5) La présente autorisation de diffusion est valable pour un an et renouvelable par tacite reconduction. L’auteur ou l’ayant droit peut faire interrompre immédiatement l’édition sur microfiches de sa thèse dans le seul cas où, ayant signé un contrat d’édition "sur papier" - il enverra alors une copie de ce contrat d’édition à l’Atelier ainsi qu’une lettre interrompant l’autorisation de diffusion - il considère que la vente de sa thèse sous forme de micro-fiches serait préjudiciable à la commercialisation de l’ouvrage.

 
 

Correspondance au MansCe ne sera donc pas pour cette fois. J’ai soutenu ma thèse fin novembre, puis ai été qualifié en 71e section début 2011. A alors commencé la recherche d’un poste de maître de conférences. Dans un contexte qui n’est pas ce qu’on pourrait désigner comme véritablement porteur pour l’emploi à l’université, les sciences de l’information et de la communication demeurent parmi les moins inaccessibles des disciplines, avec 45 postes offerts au recrutement cette année. Encore faut-il trouver un profil de poste auquel il paraît raisonnable de prétendre, et en la matière, mieux vaut être spécialisé en communication des organisations ou en technologies du web, secteurs qui constituent l’immense majorité des propositions. Quand on s’intéresse à la presse, plus particulièrement écrite, et plus particulièrement encore régionale, c’est pas gagné d’avance. Et quand sa thèse est une critique théorique (certes accompagnée d’un important travail de terrain) sur le concept d’espace public, ça se complique un peu.

J’ai quand même envoyé onze candidatures — dont une seule purement géographique —, et reçu trois invitations pour une audition : à Paris 8, Lyon 2 et Nice. J’y ai été classé respectivement deuxième, troisième et quatrième. Et assez logiquement, je n’ai eu aucun poste. Mais pas de regrets : troisième à Lyon où je pensais avoir foiré l’entretien à cause d’un impensable cafouillage qui m’a fait répondre complètement à côté d’une question toute simple, c’est une bonne nouvelle. Et deuxième à Paris 8, c’est un très bon classement, surtout sachant que la personne qui a été classé première avait un CV était quatre fois plus long que le mien, bien que ce soit également son premier poste de MCF. Accessoirement, cela montre que le candidat local, même s’il correspond au profil, n’est pas nécessairement préféré aux autres — en l’occurrence, l’injustice aurait été de me classer devant elle.

Passé donc la déception de ne pas avoir été recruté la première année, aucune amertume. J’ai des projets de publication, un contrat qui s’annonce pour l’automne, je ne m’ennuierai pas avant la prochaine campagne, et je pourrai profiter un peu de mon fils cette année. Sa première année à lui ayant été celle de la rédaction de ma thèse, je suis en manque. Le plus dur à avaler, dans cette histoire, c’est un à-côté auquel je ne m’attendais pas : l’impossibilité de donner des cours à partir de la rentrée. J’ai été ATER pendant deux ans, j’ai une année devant moi, c’est l’occasion rêvée pour avoir quelques charges de cours, et peut-être même pour aller voir ailleurs, enseigner dans une autre fac. Contacts pris à l’IUT de Lannion, cela semblait dans l’ordre du possible. Mais après une semaine d’interrogation des textes de loi, des services administratifs et d’un syndicat, balle peau. Je n’ai pas 900 heures de travail dans l’année malgré plusieurs contrats. Je ne suis pas chef d’entreprise et on ne peut pas faire semblant avec le statut d’auto-entrepreneur. Surprise du chef : être chômeur n’est pas dans les conditions permettant de décrocher des charges d’enseignement. En gros, si tu travailles déjà, tu peux travailler plus. Mais si tu ne travailles pas, alors tu ne peux pas travailler. Logique, non ?

Ce jour-là… (merci à Fany pour la photo)

Ma thèse est désormais disponible en ligne sur HAL. Elle s’intitule L’espace public au-delà de l’agir communicationnel. Quatre renversements de perspective pour sortir des impasses du modèle habermassien, et je l’ai soutenue le 30 novembre 2010 à l’Université Paris 8. Elle a été dirigée par le professeur Jacques Guyot. En voici le résumé :

Ce travail vise à définir les conditions d’un renouvellement de la portée théorique et empirique du concept d’espace public. Avec ce concept, plus tard complété par la théorie de l’agir communicationnel à laquelle il s’intègre, Jürgen Habermas entend fournir un appareillage théorique à même d’expliciter le fonctionnement de la société. Mais l’espace public habermassien, en tant que lieu symbolique d’échange d’arguments rationnels, d’usage public de la raison par des citoyens partageant la volonté de construire un consensus fondé sur la recherche de la vérité et l’intérêt commun, et qui s’incarne dans une opinion publique devenue une des institutions fondamentales de la démocratie représentative, résulte d’une conception normative de la société qui échoue à rendre compte des phénomènes sociaux. Porté par une presse écrite tout entière au service du débat citoyen, mélange d’une image fantasmée de l’agora grecque et de la raison des Lumières, de parlementarisme pragmatique et de l’illusion moderne de la transparence, l’espace public habermassien est certes séduisant, mais fonctionne plus comme une morale que comme un concept scientifique, en ce qu’Habermas n’essaie pas de dire la société telle qu’elle est, mais telle qu’elle devrait être.

À partir d’une lecture critique du livre fondateur de Jürgen Habermas et des principales contributions dans le champ des Sciences de l’information et de la communication, en m’inscrivant dans une démarche interdisciplinaire faisant appel à la philosophie, aux études littéraires et linguistiques, à la géographie et à l’histoire, à la sociologie et à l’ethnologie, et en m’appuyant sur des entretiens avec des lecteurs de presse régionale, je propose d’opérer quatre renversements de perspective permettant de dépasser les limites de la conception habermassienne de l’espace public.

Il s’agit tout d’abord de renoncer à toute idée d’un âge d’or de l’espace public pour le considérer comme un ensemble de processus dynamiques. Ce premier renversement de perspective apparaît comme une condition absolument nécessaire à la simple poursuite de la réflexion sur ce concept. Une réflexion qui ne doit cependant pas se tromper d’objet. Habermas faisait de l’espace public le creuset de l’opinion publique, sans toutefois la définir ni fournir d’instruments pour l’évaluer. Puisqu’il n’est pas aujourd’hui de définition scientifique opératoire satisfaisante de l’opinion publique, et que se limiter à celle que mesurent les sondages d’opinion serait un leurre, nous avons besoin d’un second renversement de perspective, qui consiste à étudier l’espace public en tant que lieu symbolique de formation des opinions personnelles, et non de l’opinion publique.

Au cours de ces deux premières étapes, les lectures de L’Espace public effectuées par Miège, Dahlgren, Calhoun, et Neveu et François sont de stimulants guides, qui autorisent de surcroît à concevoir un troisième renversement de perspective. L’espace public habermassien, inspiré tout à la fois de Kant, d’Arendt et de Tarde, est universel, unique et médiatique. Or, on le voit bien dans les entretiens, il y a autant d’espaces publics qu’il y a de situations dans lesquelles les idées et les nouvelles s’échangent. Ces situations, locales pour la plupart, ne font pas nécessairement appel aux médias, et ne peuvent être comprises sans étude des conversations ordinaires : l’espace public doit donc être considéré comme fragmenté, local et conversationnel.

Si l’étude des entretiens confirme la pertinence de ces trois renversements de perspective, elle en révèle également les limites. L’espace public ainsi redéfini permet en effet d’envisager la circulation des idées et des nouvelles d’une manière empirique, ce que le modèle habermassien, enfermé dans son idéal, n’autorisait pas. Il n’est cependant que d’une aide très relative pour aborder la formation des opinions personnelles, qui relèvent d’autres processus. En termes bourdieusiens, les trois premiers renversements de perspective ouvrent la voie à l’étude de l’opus operatum, c’est-à-dire du principe de fonctionnement de l’espace public. Pour appréhender le modus operandi, le principe générateur des opinions personnelles, il faut avoir recours aux processus de socialisation, et en particulier de socialisation politique — je me réfère ici aux travaux d’Elias, Piaget, Bourdieu et Percheron. Les intégrer à l’espace public ne va pour autant pas de soi, et se révèle impossible sans remettre en cause la théorie de la société qu’Habermas développe tout au long de son œuvre — encore implicite dans L’Espace public, elle devient explicite dans Théorie de l’agir communicationnel.

La théorie de la société d’Habermas est une philosophie du langage qui suppose que la structure même de l’interlocution oriente celle-ci vers l’entente entre les acteurs. Il s’agit d’une vision mythique dont les aspects séduisants sont nombreux, mais qui renonce à rendre compte des phénomènes sociaux — l’éthique de la discussion que construit Habermas peut certes être considérée comme un espoir à atteindre, mais en aucun cas comme un ensemble théorique et méthodologique permettant d’appréhender la complexité du monde. C’est pourquoi je propose d’effectuer un quatrième renversement de perspective consistant à conserver l’intuition d’Habermas selon laquelle la philosophie du langage est essentielle à la compréhension de la société, mais considérant que la relation sociale fondatrice n’est pas l’intercompréhension, mais le travail. Je m’appuie pour cela sur la vision de l’espace public d’Arendt et sur la critique marxiste d’Habermas que fait Lecercle. Donner sa pleine mesure au potentiel heuristique de l’espace public nécessite de faire sortir le concept de la théorie de l’agir communicationnel pour l’intégrer à une théorie de la société capable d’expliciter les rapports sociaux. Là où Habermas réifiait son concept en le soumettant à l’illusion d’une société guidée par la recherche de l’entente, une critique marxiste ouverte aux différentes recherches sur les processus de socialisation permet à l’espace public de prendre en compte les conditions objectives et les rapports de force dont est faite la société.

Le résumé et le sommaire sont également téléchargeables ici.