C’est peu de dire que les questions de partage des œuvres font régulièrement l’actualité. La récente fermeture de MegaUpload, qui a suscité aussi bien l’enthousiasme répressif du chef de l’État qu’une pluie de perles lâchées par des députés, des éditorialistes ou des responsables de sociétés d’auteurs, a confirmé, une fois de plus, la médiocrité du débat politique sur le sujet. Pourtant, le succès des plateformes de téléchargement direct, MegaUpload ou autres, montre que les internautes sont prêts à payer pour disposer d’un accès pratique à des contenus artistiques diversifiés. Pourquoi ne pas en profiter pour réfléchir à un autre modèle, dégagé des appétits financiers des uns et de la voracité des autres ? Un modèle légal, qui permettrait de rémunérer les auteurs et de satisfaire la curiosité du public1.

Les bibliothèques font ça depuis longtemps : mettre à disposition, gratuitement ou contre modeste abonnement, des œuvres essentiellement fixées sur papier. Et qui n’a jamais, nonobstant les avertissements affichés au-dessus des photocopieurs de la BU, dupliqué des chapitres entiers, voire des livres entiers de bouquins difficilement trouvables ou trop chers pour sa bourse d’étudiant ? Pourtant, c’est illégal, puisqu’une affiche nous l’interdit. Mais l’affiche ne dit pas tout. La récente refonte de la loi sur la copie privée ouvre même une perspective inédite en introduisant la notion contestée de « source légale de la copie ». En gros, la copie privée d’œuvres de l’esprit demeure autorisée, à condition que le copiste puisse prouver que la source de la copie est en sa possession de manière légale. Or, comme l’explique très bien Lionel Maurel/Calimaq, les bibliothèques sont une source parfaitement licite d’œuvres imprimées. Conséquence : vous pouvez copier les livres de votre bibliothèque préférée en toute légalité, à condition de respecter quelques précautions :

  • Les copies doivent être réservées à un usage personnel
  • Elles doivent avoir été réalisées avec le matériel personnel du copiste (donc pas avec la photocopieuse de la BU…)
  • Elles doivent avoir été réalisées à partir des originaux conservés à la bibliothèque
  • Elles ne doivent pas enfreindre des mesures de protection technique (DRM)

Bon, il n’est pas évident que les directions des établissements concernés voient arriver d’un bon œil des lecteurs équipés de scanners et appareils photo un peu partout — j’imagine d’ailleurs que cela est déjà arrivé, et j’aimerais bien savoir comment cela s’est terminé… D’où une idée aussi simple que réjouissante : organisons des copy-parties (ici et ) ! Chacun vient avec son portable, son téléphone, son disque dur, quelques DVD vierges s’il veut copier des films2, on s’installe, on ne fait pas (trop) de bruit et on copie/photographie/scanne ce que l’on désire. L’usage personnel qui est au bout de l’action n’empêche pas, bien au contraire, que l’action soit collective.

Alors, c’est quand, c’est où ? Ça ne vous étonnera pas d’apprendre que la première copy-party (du monde, si si) aura lieu à La Roche-sur-Yon, dont l’IUT abrite Olivier Ertzscheid, remuant observateur des métamorphoses du document. Ce sera le 7 mars, à 18h. Copy-party, puis débat et apéro partagé. Tous les détails sont ici.

  1. À propos de rémunération des auteurs et de curiosité : bel exemple du côté de Publie.net, qui édite de beaux livres numériques pas chers. À propos de voracité, je serais tenté de m’étendre sur le sort que fait Gallimard à la nouvelle traduction du Vieil homme et la mer par François Bon. Mais d’autres en ont déjà beaucoup — et bien — parlé depuis vendredi et l’annonce par François Bon du retrait du livre de la vente. Lire notamment (et ces billets renvoient à d’autres, non moins intéressants) : « Le Roi est nu ! » par Lionel Maurel, « Hemingway est-il dans le domaine public ? » par Cécile Deshedin, « Que protègent les droits d’auteur ? » par André Gunthert, « Nous n’échapperons pas à reposer la question du droit » par Hubert Guillaud. []
  2. Mais pas de CD, qui constituent une exception : l’absence d’accord sur leur statut en bibliothèque n’en fait pas une source licite. []